Faut-il rétablir le service militaire ?
La question ainsi posée pourra en surprendre certains, en agacer d’autres. Autant le préciser immédiatement, je n’ai pas d’avis tranché sur le sujet. Je vais donc poser un certain nombre de points dans ce texte et vous laisserai le soin de vous faire votre propre opinion.
Rappel historique.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me semble nécessaire de faire un rapide rappel historique. Le service militaire a vu le jour, pour la première fois, suite au vote de la loi Jourdan-Delbrel adoptée le 05 septembre 1798. Le texte précise que « Tout français est soldat et se doit à la défense de sa patrie ». Seules les personnes de sexe masculin âgées de 20 à 25 ans devaient participer au service militaire obligatoire. Depuis, il a été réformé à de multiples reprises. Que ce soit à propos des personnes concernées par le service national ou que ce soit concernant sa durée, les changements ont été très nombreux Élu président de la République en 1995, Jacques Chirac demande à son ministre de la défense (Charles Millon) un rapport sur la pertinence de garder ou non le service militaire. Sans surprise, il est arrêté le 28 octobre 1997 mettant fin à près de 200 ans d’histoire.
Les raisons de sa suppression.
Plusieurs raisons ont été avancées pour justifier cette décision. Il a d’abord été évoqué le coût de cette armée de conscription. Le coût d’intégration de centaines de milliers d’hommes par an dans une myriade de casernes est considérable. Ce point a une importance particulière à la fin des années 90 alors que la France doit se préparer à l’intégration dans la zone euro avec le respect des règles en matière budgétaire.
Par ailleurs, de nombreux jeunes français échappent à leurs obligations (en gros 1/3) grâce à de bonnes relations ou en étant objecteur de conscience. Au fil du temps, cette période a perdu son rôle de brassage de la société qui permettait à un jeune issu d’une famille aisée de se retrouver dans une situation strictement identique de celle d’un fils d’ouvrier.
Mais la raison la plus sérieuse concerne l’évolution géopolitique du monde qui entraîne un changement dans les menaces qui pèsent sur notre pays. La chute du mur de Berlin et l’effondrement du bloc soviétique changent la donne. La menace n’est plus la même. Du moins le pensait-on alors.
Par ailleurs, la première guerre du Golfe (1990-1991), laisse penser que la France sera amenée à intervenir plus souvent dans des conflits étrangers lointains. A ce titre, il n’est plus nécessaire d’avoir une armée très nombreuse. L’enjeu prioritaire c’est de professionnaliser nos armées pour faire face à ces nouvelles missions de projection. Depuis plus de 20 ans, on ne compte plus les opex que ce soit en Afrique, en Afghanistan ou dans les Balkans. La doctrine est la suivante : la dissuasion nucléaire pour défendre notre intégrité territoriale et des soldats professionnels pour les opérations extérieures (Opex).
Un désarmement de la France.
Au-delà de l’arrêt de la conscription, la France s’est considérablement désarmée depuis 60 ans. Le budget consacré aux armées est passé de 5,4% du PIB en 1960, à 3,5% en 1970, 2,8% en 1990, 2% en 2000 et 1,8% en 2018. Ce sont les fameux « dividendes de la paix ». C’est-à-dire, selon les promesses de l’époque, que la fin de la guerre froide allait permettre de réduire les dépenses militaires pour allouer ces économies à la réduction de la dette et des impôts. Les dépenses militaires ont bien baissé. La dette et les impôts moins…
Toujours est-il que ces décennies de sous-investissement ont mis nos armées à la limite du strict minimum opérationnel. L’aviation disposait au début des années 80 de 575 avions de chasse contre à peine plus de 200 aujourd’hui. Moins d’avions, moins d’équipages. Le constat est le même pour toutes les armées et pour tous les matériels dont les chars et les munitions. Heureusement, la nouvelle loi de programmation militaire 2024-2030 prévoit un effort significatif qui permettra de redresser (un peu) la barre.
Ukraine : la guerre qui change tout.
C’est avec stupeur que nous avons vu revenir la guerre au cœur de l’Europe l’an dernier. L’invasion de l’Ukraine par la Russie change toute la vision stratégique de nos armées. C’est une guerre à « l’ancienne ». Une guerre d’un pays contre un autre (contrairement au terrorisme par exemple). C’est une guerre de haute intensité. C’est une guerre qui mobilise tous les hommes en âge de combattre. Une guerre qui nécessite des avions, des chars, des missiles courte et longue portée, de l’artillerie, de la logistique, de la défense aérienne, des munitions, beaucoup de munitions…Bref, une guerre qui nécessite tout ce que nous n’avons pas. Pas de défense aérienne, ou presque pas. Des capacités d’artillerie trop faibles. Pas assez de munitions. Pas assez d’avions, de chars, de véhicules blindés…Et pas assez d’hommes. Environ 200 000 militaires d’actives et 60 000 réservistes. En cas de conflit de type ukrainien, et sans aide extérieure, nous pourrions tenir quelques jours.
Alors ce scénario vous semble peu probable ? C’est exact. Vous pourriez m’objecter qu’en cas de conflit, notre appartenance à l’OTAN nous protégerait. Pas faux. Il n’en reste pas moins que l’histoire est imprévisible. Que ce qui nous paraît impensable aujourd’hui peut devenir une réalité demain. Que les périodes de paix sur notre continent sont peu nombreuses au regard de son histoire. Bien malin celui qui peut dire avec certitude que plus jamais notre pays ne sera confronté à une guerre de ce type pour laquelle l’arme nucléaire est inutile puisque son utilisation signifierait la fin du monde.
Si par malheur un jour la France devait entrer en guerre contre un autre pays, elle devra mobiliser des hommes âge de combattre. Mais elle mobilisera des hommes qui seront des soldats incompétents, incapables de manier une arme, incapables de se battre, incapables de défendre leur pays. Des hommes qui une fois mobilisés et envoyés sur le front, se feront pulvériser comme de la chair à canon.
Question : faut-il rétablir de service militaire pour avoir un potentiel de défense plus important et former au combat toutes les générations ? Le pire n’est pas certain mais le pire n’est par impossible non plus. Je pense qu’à minima, il est nécessaire d’augmenter considérablement les effectifs de la Garde nationale avec plus d’entraînement pour ses membres.