Les origines de la crise financière. Partie 1.

La crise financière et économique a fait beaucoup de dégâts dans la monde : montée généralisée du chômage, dégradation des comptes publics…la liste est longue. La période de crise que nous traversons depuis plusieurs années a renforcé le rejet du libéralisme, pour des Français qui voient en lui le principal coupable de ce qui s’est passé. Il faut être précis et rester factuel, car la classe politique française a réussi à faire croire tout et n’importe quoi sur les causes et les conséquences de la crise la plus grave depuis la grande dépression des années 30. Ceci est d’autant plus facile que les raisons profondes de la crise sont d’une complexité extrême.

Que s’est-il passé et dans quel ordre se sont déroulés les évènements ? Tout a commencé par la crise des subprimes aux USA. Cette crise des subprimes s’est transformée en crise financière qui elle-même s’est transmise à l’économie réelle, se traduisant par une profonde récession en 2009 dans pratiquement tous les pays développés. Je vais centrer mon propos sur les origines de la crise et ses mécanismes de propagation, car un tel sujet mériterait un livre complet.

La crise a donc débuté aux USA avec la crise des subprimes. Une rapide définition du crédit subprime : c’est un crédit accordé à une catégorie d’emprunteurs peu ou pas solvables, destiné à permettre l’accession à la propriété à des ménages qui se trouvaient dans l’impossibilité de souscrire un crédit classique du fait de leur profil de risque. En effet, ces emprunteurs présentent un risque de défaut de paiement particulièrement élevé en raison de leur catégorie socioprofessionnelle ou de leur niveau de revenus. Le crédit subprime peut présenter de nombreuses spécificités techniques hautement risquées et complexes. Deux exemples : la possibilité de commencer à réellement rembourser son crédit en capital plusieurs années après la mise à disposition des fonds ou bien encore présenter un taux d’intérêt progressif. Les banques accordaient des crédits subprimes sans même vérifier la solvabilité des emprunteurs (revenus et endettement) en se basant sur la seule valeur de l’hypothèque du bien acheté. C’est une folie pure qui conduit droit le mur. La responsabilité des banques anglo-saxonnes est écrasante. En France, les méthodes d’octroi sont complètement différentes : la solvabilité de l’emprunteur est systématiquement évaluée et une crise des subprimes à « l’américaine » est strictement impossible dans notre pays. On oublie trop souvent de le dire : si les banques françaises ont mieux résisté à la crise que beaucoup de leurs consœurs européennes et américaines, c’est parce qu’elles ont pris moins de risques. En clair elles ont mieux fait leur métier.

Première question : comment des banques américaines ont-elles pu prendre autant de risques et pourquoi n’ont-elles rien vu venir ? Deuxième question : comment le risque s’est propagé à l’ensemble de la planète financière pour se transformer en crise financière majeure avec un risque systémique à la clé ?

Commençons par l’excès de risque. L’appréciation du risque est au cœur du métier de banquier. A chaque nouvelle demande de crédit, la banque évalue la capacité de l’emprunteur (particulier ou entreprise) à rembourser ses dettes. Pour accorder un crédit à un particulier, que ce soit un crédit à la consommation ou un crédit immobilier, les principaux éléments pris en compte pour l’acceptation de l’emprunt sont : la consultation des fichiers (principalement celui concernant les incidents de paiement), le scoring et les capacités financières de l’emprunteur. On reproche souvent aux banques et aux établissements financiers d’être trop frileux dans leur distribution de crédit, parfois à juste titre. La raison est simple : le coût des impayés est tel qu’ils ne peuvent se permettre le moindre dérapage dans la prise de risque. Celui-ci se traduirait inévitablement par de lourdes provisions dans leurs comptes.

Mais alors, pourquoi les banques américaines ont-elles dérapé aller dans leur politique d’octroi, au point de prendre des risques insensés ? Comme l’a indiqué Laure Klein dans son livre « La crise des subprimes, origine de l’excès de risque et mécanismes de propagation » (Edition revue Banque), « L’excès de risque trouve ses origines dans le contexte législatif et monétaire dessiné par les autorités américaines au cours des années ayant précédé la crise. » Le rôle de l’Etat américain est fondamental dans l’origine de cette crise. L’Etat a poussé les Américains à devenir propriétaires de leur résidence principale car, depuis toujours, cela fait partie du rêve américain. Pour augmenter le nombre de ménages propriétaires de leur résidence principale, il a créé juste après la crise des années 30 Fannie Mae puis en 1970 Freddie Mac. Ces deux organismes parapublics de refinancement hypothécaire ont pour rôle d’assurer le bon fonctionnement du marché du crédit immobilier. Elles répondent à la notion de Gouvernment-Sponsored Enterprises (GES). Ces deux agences ne prêtaient pas directement aux acheteurs immobiliers mais, bénéficiant de la garantie financière de l’Etat, elles pouvaient émettre des obligations à taux bas afin de racheter aux banques émettrices de prêts leurs créances. Elles pouvaient le faire, ou plutôt devaient le faire, grâce à la garantie de lignes de crédit accordées par le Trésor. Par la suite, Fannie Mae et Freddie Mac revendaient les prêts refinancés à des investisseurs via des produits financiers sophistiqués en émettant  des titres adossés à ces crédits.

Les plus connus sont les fameux Residential Mortgage-Backed Securities (RMBS) et les Collateralized Debt Obligations (CDO). Un point important : ces deux agences ont toujours bénéficié de dérogations étonnantes, comme celle concernant les exigences de fonds propres bien inférieures à ce qui était demandé aux autres acteurs financiers. Résultat ? Fannie Mae et Freddie Mac ont toujours été sous-capitalisées.

L’Etat américain va enchaîner les lois pour permettre au plus grand nombre d’habitants de devenir propriétaires. En 1975, le Home Mortgage Disclosure Act (HDMA) est voté. Cette loi a pour objectif de lutter contre les discriminations lors de l’octroi d’un crédit immobilier et oblige les institutions financières à divulguer toutes les informations (en dehors du taux) des crédits octroyés : race de l’emprunteur, revenus… Toujours pour permettre aux exclus du crédit de devenir propriétaires de leur logement, le Congrès américain va encore plus loin et vote en 1977 le Community Reinvestment Act.  Le CRA fixe des objectifs d’octroi de crédits aux communautés qui y ont peu accès. Les banques sont évaluées sur ce CRA et sanctionnées si elles n’atteignent pas les objectifs fixés… En 1993, l’administration Clinton met sous tutelle les deux organismes parapublics (Fannie Mae et Freddie Mac) en créant le US Department of Housing and Urban Development (HUD) car elle a des ambitions élevées en matière d’accession à la propriété. Les deux organismes se voient fixer des objectifs de prêts subprimes dans leur portefeuille. L’Etat pousse l’accession à la propriété en obligeant Fannie Mae et Freddie Mac à avoir toujours plus de subprimes. Les banques, sûres de voir leurs créances reprises par les deux organismes, sont incitées par l’Etat à faire toujours plus de subprimes et elles ne se sont pas gênées : elles ont prêté à tours de bras. Le résultat est spectaculaire : entre 1994 et 1999, le volume des prêts subprimes a augmenté de 350% pour atteindre 160 milliards de dollars. Les objectifs ayant visiblement été atteints, l’Etat américain décida de poursuivre cette stratégie suicidaire. Entre 2001 et 2006, le volume de prêts subprimes triple et passe le cap des 600 milliards. Fin 2006, les encours totaux de crédits subprimes atteignait 1170 milliards de dollars. Fin 2007, ce sont 7,7 millions de crédits subprimes qui sont en cours aux Etats-Unis. Les banques américaines ont une responsabilité énorme, évidemment, mais l’Etat américain est bien le principal coupable dans cette affaire. Fin 2008, juste après le début de la crise financière, les deux organismes parapublics garantissaient 40% des prêts hypothécaires des ménages américains pour un montant évalué à 5000 milliards de dollars. La bulle était prête à exploser.