Après la crise sanitaire, quels scénarios économiques ?

C’est d’abord et avant tout une grave crise sanitaire. Les caractéristiques du virus COVID19 (très contagieux) qui touche plus de 180 pays dans le monde ont poussé les Etats à mettre en place une stratégie de confinement. Ce choix efficace sur le plan sanitaire a mis les économies à l’arrêt. Un choc sur la demande avec, par exemple, un effondrement des dépenses de consommation. Fait inédit, la production s’est également arrêtée avec l’immense majorité des usines à l’arrêt. Plus d’offre, plus de demande, une vraie crise cardiaque économique. Dernier point et non des moindres, la crise cardiaque est mondiale.

La crise sanitaire est loin d’être terminée et il peut paraître prématuré de se pencher sur les scénarios économiques envisageables une fois celle-ci passée. Et pourtant c’est le rôle des économistes que d’anticiper et de faire des prévisions. Je vais tenter de faire une synthèse des hypothèses que nous pouvons envisager à partir des travaux qui ont déjà été publiés.

Avant tout, il faut préciser qu’il faut faire preuve d’humilité dans cet exercice en temps normal car faire des prévisions est toujours un exercice difficile malgré la complexité et la qualité des modèles économétriques utilisés. Or nous ne sommes pas en temps normal. C’est une crise qui n’a pas de précédent, un choc violent, improbable et aux conséquences profondes. Un choc de type « cygne noir ». Donc, je prends beaucoup de précautions pour écrire ces quelques lignes et la sortie de crise pourra être différente des scénarios que je vais évoquer.

L’ampleur de la récession.

Les premières estimations viennent d’être publiées. L’Insee a estimé qu’un mois de confinement se traduirait par une baisse de 3% du PIB. On ne peut pas exclure que ce chiffre soit révisé à la hausse. Je pense même que c’est probable. La Banque de France évalue la baisse du PIB à 6% au T1 2020 et à 10% sur l’ensemble de l’année. Tous les indicateurs avancés (PMI, Climat des affaires..) vont dans le même sens : une baisse brutale de l’activité. Le ministre de l’économie a évoqué la pire récession depuis 1945. Il a raison.

Les conséquences sur l’emploi sont considérables : près de 8 millions de personnes sont au chômage partiel. Un choc inédit. Aux Etats-Unis, 16,6 millions de salariés américains se sont inscrits au chômage en seulement trois semaines. 16,6 millions…hallucinant.

De très nombreuses entreprises sont en grande difficulté. L’enseigne de chaussures André vient d’être placée en redressement judiciaire. Le spécialiste de l’électroménager MDA a lancé une procédure de sauvegarde. Air France va faire appel à l’Etat français pour avoir du cash. De très nombreux secteurs sont à l’arrêt : automobile, restauration, ameublement…

L’ampleur du choc dépendra bien sûr de la durée du confinement. Pour le moment l’incertitude plane sur ce point et sur les modalités concrètes du déconfinement. On devrait en savoir plus lundi soir avec l’intervention du Président de la République mais il sera certainement prolongé jusqu’à fin avril minimum.

La réponse ds pouvoirs publics.

Elle est à la hauteur du choc. Il y des mesures de politique monétaire prises par la FED et la BCE, mais aussi par toutes les autres banques centrales. Baisse des taux, rachat massif de dettes souveraines…La planche à billet va tourner à plein régime (750 milliards d’euros dans un premier temps). Le ministre de l’économie Bruno Le Maire a expliqué qu’entre « des milliers de faillites et la dette, nous avons choisi la dette ». La dette française va largement dépasser les 110% du PIB à court terme. Le déficit public tournera autour des 8% du PIB en 2020, l’Etat ayant décidé de mobiliser 100 milliards d’euros pour son plan de soutien à l’économie. 20 milliards pourront être mobilisés pour sauver de grandes entreprises. Très clairement, l’Etat est dans son rôle en voulant préserver notre économie et nos entreprises « quoi qu’il en coûte ». Ce montant de 100 milliards sera lui aussi revu à la hausse, cela ne fait aucun doute.

De son côté, l’Europe a pris des décisions et mis en place un plan de relance de 500 milliards d’euros avec trois axes : jusqu’à 240 milliards d’euros de prêts du Mécanisme européen de stabilité (MES, le fonds de secours de la zone euro), un fonds de garantie de 200 milliards d’euros pour les entreprises et jusqu’à 100 milliards pour accompagner le chômage partiel.

Les nombre de mesures prises est impressionnant et sur un laps de temps très court. En voici la liste complète réalisée par les économistes de BNP Paribas.

Il est clair que la réactivité des pouvoirs publics et l’importance des décisions prises sont des éléments déterminants pour limiter l’impact de la crise mais aussi pour faire redémarrer l’économie le mieux possible. On peut dire que les réponses sont à la hauteur de la crise et la réactivité des pouvoirs publics très satisfaisante.

Quelle sortie de crise ?

Après une crise profonde, plusieurs types de reprises sont possibles : il y a le scénario d’une reprise rapide et forte en V, il y a un scénario en U, avec un temps de récupération plus long puis enfin un scénario en L, le pire, avec un effondrement de l’économie sans reprise à court et moyen terme.

Le scénario en V ne semble pas le plus probable. Pour plusieurs raisons. D’abord parce-que selon toute vraisemblance, le déconfinement sera progressif. Dit autrement, le retour à la normale n’est pas envisageable à court terme. Les frontières pourraient, par exemple, rester fermées cet été avec de terribles conséquences pour les compagnies aériennes, de nombreux festivals (peut-être tous) seront annulés, l’activité touristique de la France sera très faible…Rappelons que le tourisme pèse plus de7% du PIB et qu’avec près de 90 millions de visiteurs par an, la France reste la première destination touristique au monde.

La liste des désastres économiques est longue mais ce n’est pas tout. En effet, l’état d’esprit et le moral des Français seront déterminants pour la reprise de la consommation (qui pèse pour plus de la moitié du PIB). Et ce n’est pas gagné. Selon un terrain conduit par Harris pour les zOOms  de L’Observatoire Cetelem après le début du confinement, 88% des Français se déclarent inquiets pour l’économie française. C’est le motif d’inquiétude numéro 1 devant la santé. 68% pensent que leur pouvoir d’achat va baisser avec cette crise. Nous savons que l’inquiétude d’une façon générale (pour l’emploi, le pouvoir d’achat..) génère des comportements très prudents de la part des consommateurs et des intentions d’épargne à la hausse. Dans une économie développée comme la nôtre, les taux d’équipements des ménages en biens sont très élevés. Les marchés (blanc, brun, auto..) sont à saturation et sont essentiellement liés à des renouvellements. En clair, celui qui achète une voiture neuve est une personne qui a déjà une voiture. Idem pour un canapé. Or le changement d’une voiture ou d’un canapé peut attendre et l’achat être reporté. Quelle que soit la date de fin du confinement et quelles qu’en soient les modalités de sortie, les consommateurs n’auront pas comme priorité d’aller acheter une voiture ou de changer de canapé dès qu’ils pourront sortir de chez eux. La reprise de la consommation sera très progressive. Cette lenteur de la reprise sera également aggravée par les conséquences de l’augmentation inéluctable du chômage.

Pour en revenir aux hypothèses de sortie de crise, le scénario en V est peu probable. Je crois assez peu aux scénarios en U et en L. En effet, dès le confinement sera allégé, l’activité repartira modérément mais ne restera pas au niveau actuel et qui se situe à 50% environ de l’activité normale.

Cette crise complètement atypique pourrait déboucher sur un type de reprise inconnue jusqu’à présent qui pourrait ressembler à cela :

Les déterminants principaux de ces scénarios sont :

– la durée du confinement

– les modalités de sortie du confinement

– les décisions politiques de soutien à l’économie en France, en Europe et dans le monde

– l’évolution de la pandémie dans le monde

Le sous-total des 3 scénarios de reprise évoqués ici est de 90%. A quoi correspondent les 10% restants ? A l’imprévisible.

Deux exemples, mais il peut y en avoir d’autres :

– on découvre vite un traitement très efficace contre le COVID 19 et à partir de ce moment là, la reprise peut être plus rapide et plus forte que prévue. Ce n’est pas impossible compte tenu du nombre de tests en cours. Le monde de la recherche médicale est pleinement mobilisé dans cette bataille.

– on ne trouve pas de traitement à court terme, ni de vaccin, et on assiste à une deuxième vague de la pandémie. A ce moment là, même le scénario des 3 ans ne tient pas.

En conclusion : face à cette crise de type « cygne noir » il faut faire preuve d’humilité dans les travaux de prévision. Les inconnues sont très nombreuses et il faudra continuer à affiner les prévisions au fur et à mesure de l’évolution de la crise.