Comment cet acteur si talentueux

Cher Vincent Lindon,

Tu me permettras de te tutoyer. J’ai le le tutoiement facile et puis tu ne liras sûrement pas ce texte et tu ne seras donc pas offusqué de cette petite familiarité.

C’était donc le 6 mai. Mercredi 6 mai. Je vois Vincent Lindon en top tendance sur Twitter. J’admire l’acteur et je m’empresse de découvrir l’élément qui t’a mis en TT sur ce réseau hyper réactif. Cela va vite, très vite. Je clique sur ton nom et je comprends qu’il s’agit d’un texte signé de ta main intitulé « comment ce pays si riche… ». Je découvre aussi au même moment que c’est Médiapart qui le publie. Je dois t’avouer qu’à ce moment précis, ma curiosité du début laissa place à une forme de scepticisme. Ce scepticisme disparut au deuxième clic qui me conduisit sur un Tweet de Clémentine Autain qui t’a trouvé « bouleversant ».

J’étais sur le point de m’arrêter là. Pas envie d’aller plus loin. Au fond, les vedettes qui se succèdent à longueur de tribunes et de pétitions pour s’indigner et donner des leçons me fatiguent.

Mais là c’est Vincent Lindon qui parle face caméra. Et puis Clémentine est bouleversée. Tu as bouleversé Clémentine Autain. Je ne sais pas si tu mesures la chose à sa juste valeur. Je procède donc à mon troisième clic et tombe sur ta vidéo. Elle dure 19 minutes et 35 secondes. Tu as lu ton texte avec talent. Ce n’est pas une surprise. A la fin et après t’avoir écouté attentivement, je me suis posé cette question : comment cet acteur si talentueux a pu écrire un tel texte ? Tes talents d’acteur n’ont rien pu faire pour compenser l’extrême médiocrité du fond. La forme sans le fond n’est rien.

Alors reprenons depuis le début cher Vincent.

Tu commences fort.

Si je te comprends bien, l’option « moyenâgeuse » du confinement n’aurait pas été activée si nous avions eu beaucoup plus de lits de réanimation. Comment peux-tu dire une telle bêtise Vincent ? Sans le confinement, nous aurions eu des millions de malades supplémentaires, des centaines de milliers de malades hospitalisés en plus, des dizaines et de dizaines de milliers de morts supplémentaires. Avoir 10 000, 20 000 ou 30 000 lits de réanimation n’y aurait rien changé. Est-ce que tu te rends compte de ce que tu dis ? A la limite, si tu avais dit qu’avec des masques disponibles et distribués a tous les Français dès le mois de janvier nous aurions pu éviter le confinement, je t’aurais peut-être suivi. Mais ce propos ne collait pas avec l’hôpital « désossé ». Parlons-en de l’hôpital « désossé ». Le poids des mots. La santé est devenue une marchandise nous dis-tu, elle doit être « rentable ». Dis-moi, Vincent, as-tu pris le temps de jeter un œil sur les comptes de la nation ? As-tu pris soin de vérifier les chiffres des dépenses de santé depuis 2000 puisque tu évoques cette date ? Non, je ne pense pas. Tu te contentes de répéter tel un perroquet ce qu’on te dit ou ce que tu entends. Je te laisse le soin de lire les chiffres de ce tableau. Tout est sourcé. Tu vois, les dépenses de santé ne baissent pas. Elles augmentent chaque année. Au moins autant que le PIB. Je précise : entre 2000 et 2009, la tendance est la même.

Les chiffres sont sans appel : l’hôpital n’a pas été « désossé ». Bien sûr, les problèmes sont nombreux et il serait absurde de nier les difficultés quotidiennes que rencontrent les personnels soignants. Mais tu aurais pu t’interroger sur la bureaucratie absurde qui mine notre pays et l’hôpital. Te renseigner sur la part du personnel de la FPH qui se consacre à autre chose qu’aux soins. On gaspille beaucoup d’argent à cause de cette bureaucratie folle. Mais, non, beaucoup plus simple de parler de « désossage ». Il est également absurde de dire qu’aujourd’hui, pour l’Etat, la santé doit être rentable comme tu l’affirmes. Définition de rentable : qui donne un profit, un bénéfice intéressant. Quel est le bénéfice de l’Etat ? Là encore tu aurais pu dire les choses autrement en indiquant que l’Etat n’a pas à contrôler les dépenses de santé. Que si elles doivent augmenter de 10% par an, cela ne te pose pas de problème. Que d’après toi, il n’y a pas besoin de compter. C’est ce que tu penses et je ne partage pas cette vision des choses. C’est trop facile et surtout irresponsable. Il faut trouver le subtil équilibre entre donner à nos hôpitaux les moyens de bien fonctionner sans pour autant tomber dans le piège de l’argent qui tombe du ciel et qui n’existe pas. C’est un exercice difficile, très difficile. Bien plus difficile que de donner des leçons en lisant un texte face caméra cher Vincent.

Tu termines la séquence sur l’hôpital et les soignants avec une grande indignité.

Tu insinues que les forces de l’ordre ont utilisé massivement les LBD et les grenades de désencerclement contre des soignants qui venaient manifester pacifiquement. Tu devrais avoir honte. Les policiers et gendarmes ont utilisé ces armes face aux casseurs et autres Black Blocks venus pour tout détruire, tout casser et si possible tuer du flic. Aurais-tu déjà oublié la séquence de l’Arc de Triomphe ? Quelle est ta recommandation face à ces voyous ? Quelle est la doctrine à adopter ? Riposter avec des bouquets de fleurs ? Lorsqu’une manifestation est déclarée et qu’il n’y a pas de casse, il n’y pas de riposte de la police ou de la gendarmerie. Les gens manifestent dans le calme et il n’y a aucun tir de LBD.  Au fil de ton texte, tu sombres Vincent.

Visiblement, une fois de plus, tu parles de quelque chose que tu ne connais pas : les salaires des fonctionnaires. Ils sont bloqués, nous dis-tu. Non, ils ne sont pas bloqués. Je te laisse le soin de te renseigner sur ce qu’est le GVT dans la fonction publique. Peut-être comprendras-tu que les salaires des fonctionnaires augmentent régulièrement même si le point d’indice n’augmente pas (ou peu). Entendons-nous bien : les fonctionnaires n’ont pas de grosses rémunérations, loin de là, certaines d’entre elles mériteraient d’être revalorisées, mais il est faux de dire qu’elles sont « bloquées ».

Tu condamnes aussi les privatisations. Toujours plus d’Etat, bonne idée surtout dans un pays ultra étatisé comme le nôtre, champion des dépenses publiques. Mais tu as peut-être raison : c’est vrai que c’est top d’avoir un Etat qui gère les galeries commerciales des aéroports de Paris. Tu envoies du rêve Vincent.

Par la suite, tu dénonces pêle-mêle la suppression de l’ISF ou la baisse des APL. Si la baisse des APL était une bêtise, tu as oublié de préciser que la création de l’impôt sur la fortune immobilière a rapporté plus de 2 milliards d’euros en 2019. Simple oubli ou mauvaise foi ? J’ai tendance à pencher pour la deuxième option.

Après avoir réclamé plus d’Etat tu dénonces avec un courage inouï et une originalité folle « la mondialisation ultralibérale ». Ahhh le méchant libéralisme. C’est Bien Vincent. Le seul truc Vincent, c’est qu’encore une fois tu survoles les sujets et tu répètes les ritournelles que tu entends, sans réfléchir deux secondes. Grâce à la méchante « mondialisation ultralibérale », la proportion d’humains dans l’extrême pauvreté est passée de 36% de la population mondiale en 1990 à moins de 10% en 2015. Pour Jim Yong Kim, président du Groupe de la Banque mondiale « Au cours des 25 dernières années, plus d’un milliard de personnes dans le monde sont parvenues à sortir de l’extrême pauvreté, et le taux mondial de pauvreté n’a jamais été aussi bas qu’aujourd’hui. C’est l’une des plus grandes réussites de notre temps. » Mais tu t’en fous toi de cela, tu balances, tu dénonces et puis les pauvres du reste du monde n’ont pas l’air de beaucoup t’intéresser Vincent. Je t’épargne les autres indicateurs IDH qui sont tous orientés dans le bon sens : taux de scolarité dans le monde, espérance de vie…Sur ces 20 dernières années, alors que la population mondiale gon­flait de 2 milliards d’individus, le nombre de personnes sous-alimentées diminuait de plus de 200 millions. Mais de tout cela, tu ne dis mot.

Tu fustiges l’utilisation du 49-3 sur la réforme des retraites. Très original. Tu oublies simplement que le 49-3 a été utilisé parce-que l’opposition a déposé plus de 40 000 amendements. Non pas pour faire avancer le débat, mais simplement pour faire de l’obstruction parlementaire, forcer le gouvernement à utiliser ce fameux article constitutionnel pour mieux crier au scandale par la suite. Une façon de de faire qui déshonore leurs auteurs et toi tu tombes dans le panneau. Pauvre Vincent.

Avec une mauvaise foi évidente, tu pointes du doigt le maintien du premier tour des municipales dans le contexte de crise sanitaire. Tu es un unijambiste de  la condamnation puisque tu ne mentionnes pas le fait que toutes les oppositions (extrême droite, extrême gauche, PS, LR…) se relayaient sur les plateaux des radios et des télés 15 jours avant l’élection pour, avec un ton grave et un doigt accusateur, évoquer « un coup d’Etat institutionnel » afin déviter une défaite à LREM si les municipales devaient être décalées. Tu m’attristes Vincent, tu te vautres dans la médiocrité avec beaucoup d’énergie.

Après avoir accusé Emmanuel Macron de se comporter en monarque et d’avoir décidé tout seul de la date du déconfinement, tu lui reproches d’avoir laissé le choix aux parents de remettre leurs enfants à l’école ou non. Aveuglé par ton ressentiment envers le président de la République, tu lui reproches tout et son contraire : un coup il décide trop, un coup il ne décide pas assez.

Avec toujours autant de lucidité, tu t’en prends aux stratégies du gouvernement qui « oscillent, sinon à la vitesse de la lumière, au moins à celle où se propage le virus ». Ben oui, Vincent, le gouvernement a fait face à une pandémie invraisemblable, violente à laquelle aucun pays n’était préparé. Mais toi tu aurais fait mieux, certainement. Tu fais partie de ces gens qui expliquent en mai ce qu’il aurait fallu faire en janvier. Quel dommage que tu ne te sois pas exprimé en janvier pour tout nous dire…

Mais le pire est à venir, il concerne tes propositions pour résoudre tous ces problèmes. Que faire, nous demandes-tu avec gravité.

Avec une originalité folle, tu proposes…un nouvel impôt. C’est génial Vincent. Je comprends pourquoi Clémentine est encore sous le choc. Tu lui trouves même un nom : ce sera la contribution « Jean Valjean ». Tu nous replonges dans les Misérables de Victor Hugo. Merci Vincent. C’est beau, c’est émouvant. Tu vas sauver les pauvres en taxant les riches. Révolutionnaire. En te lisant je me suis demandé quel pouvait être ton patrimoine. Ce serait bien que tu le publies. Après tout, tes rémunérations d’acteur sont largement subventionnées par l’argent public. Cela mérite bien un peu de transparence et puis cela nous permettrait aussi d’être sûrs que ce seuil mystérieux des 10 millions n’a pas été choisi en fonction de ton propre patrimoine. Pas toi, pas çà.

Ta taxe magique va donc rapporter environ 36 à 37 milliards d’euros. Pourquoi « environ » ? 36 ou 37 milliards c’est très précis…Ils sont forts les économistes que tu as pris soin de consulter. Quel dommage que tu n’aies pas daigné nous indiquer leurs noms. Ah, j’oubliais, ce n’est pas parce-que tu n’es pas imposable que tu es pauvre cher Vincent. Il y a en France plus de 9 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. C’est énorme, c’est un vrai problème social mais ce n’est pas 21,4 millions de foyers. Pourquoi raconter des bêtises ?

J’en suis à 14 minutes et 35 secondes de visionnage de la vidéo. Il reste 5 minutes, pas une seconde de plus. J’ai souffert. Je pensais avoir fait le plus dur. Fatale erreur. Il te reste 5 minutes et voilà que tu veux « réparer notre démocratie ». Tu fourmilles d’idées, toutes plus absurdes les unes que les autres. Tu commences par des constats sans appel. La justice ? Aux ordres du pouvoir. La presse ? Aux ordres des milliardaires à tel point la contestation ne peut s’y « exprimer ». La contestation n’a plus que « la rue et les sondages » pour se faire entendre. Dis-moi, Vincent, est-ce que tu regardes de temps en temps la télé ? Je sais, la télé c’est vulgaire par rapport au grand écran mais quand même. Prenons par exemple BFM TV. Oui tu sais, la chaîne qui appartient au méchant milliardaire Drahi. Mélenchon y est très régulièrement invité ainsi que tous les députés de la France insoumise. Pareil pour Le Pen et le Rassemblement national. Comment peux-tu dire que la « contestation » ne peut pas s’exprimer puisque « 9 milliardaires possèdent l’immense majorité des médias ». Pauvre Vincent.

Les élus ensuite. Il faut les responsabiliser, et vite.

Une élection, c’est quoi te demandes-tu ? C’est l’histoire d’un mec…Tu nous fais du mauvais Coluche. Il était drôle, lui. Toi non. Au passage, il y a des femmes élues, hein, pas que des « mecs ». Tu veux que le peuple puisse démettre les femmes et les hommes qu’il a lui même élus. L’élection permanente…Notre pays souffre d’avoir des élections en permanence. Il y a toujours un scrutin en vue. Tous les ans ou presque, il y a une ou plusieurs élections importantes. Toi tu en veux plus. La paralysie annoncée. Ta proposition est débile Vincent, pardonne-moi de te le dire comme cela mais c’est vraiment débile et dangereux pour notre démocratie. Le fait que la France insoumise qui cherche à déstabiliser nos institutions à chaque occasion soit porteuse de cette idée ne t’alerte pas ?

On approche de la fin Vincent, tant mieux car c’est difficile, de plus en plus difficile.

Les élus, « même les plus corrompus ne vont pas en prison ». Les élus ne risquent rien, ils font ce qu’ils veulent, ils ne sont jamais punis. C’est faux bien sûr mais en plus tu mets tous les élus dans le même sac et c’est moche. Mais tu n’es plus à cela prêt.

Enfin tu termines avec 3 propositions pour en finir avec tous ces élus pourris :

– « Rendre passible de longues années de prison ferme tout acte de corruption avérée d’un élu » : il y aura donc une justice d’exception pour les élus. Une justice à deux vitesses. Tu as une vision de la France qui n’est pas la mienne. Par ailleurs et puisque tu sembles obsédé par la corruption des élus, peux-tu me citer 5 affaires de corruption ayant touché des élus (il y en a plus de 500 000 dont les 3/4 bénévoles) sur ces 2 deux dernières années ? Ne me parle par de Balkany, merci par avance, ni de Cahuzac qui avait ouvert son compte à l’étranger en 1992. La vérité est simple : les choses ont changé et il y a très peu d’affaires de ce type aujourd’hui et c’est tant mieux. Les pratiques ont changé Vincent, tu aurais pu le souligner et t’en féliciter mais j’ai bien compris que l’objectif de ta prise de parole est simplement de détruire. Les élus sont des pourris, avec une justice aux ordres, point final.

– « Définir des couloirs judiciaires dédiés, pour éviter qu’on ne juge que des cadavres. L’ensemble des procédures, appel et cassation compris, devra être bouclé dans les 12 mois suivant l’ouverture de l’instruction » : on en revient à ta justice d’exception Vincent. Tu ajoutes cependant une idée nouvelle qui fait fureur dans les régimes totalitaires : une justice expéditive. Idées médiocres qui ne méritent passe que j’y pas plus de temps.

– « Augmenter fortement la rémunération des hommes et des femmes qui choisiront de servir la collectivité avec compétence, zèle et intégrité. Pourquoi ? Pour avoir les meilleurs. Pour leur éviter la tentation. » Là encore Vincent, tu n’as rien compris. Les élus qui s’engagent ne le font pas par appât du gain. Augmenter les indemnités (ce n’est pas une rémunération), ne ferait pas venir des personnes talentueuses comme tu le penses naïvement. Tu rêves Vincent. C’est beau de rêver. Non il faut avoir envie d’exercer des fonctions électives. Il faut avoir envie de consacrer beaucoup de son temps personnel au service des autres et là c’est le maire que je suis qui te le dis.

Allez, je dois te laisser, j’ai déjà passé beaucoup (trop) de temps à t’écouter et à te répondre.

Pour finir sur une note d’espoir, j’ai noté avec un certain soulagement que tu précises au milieu de ton texte que tu avais « gardé le sens du ridicule ». L’honneur est sauf.

Bien à toi.